L’homme — son être essentiel — n’est qu’un point. C’est ce seul point que la Mort avale. Il doit donc veiller à ne pas être encerclé.
Henri Michaux, « Un point, c’est tout », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 431.
Dans la guerre, les batailles ne peuvent être livrées qu’une à une et les forces ennemies ne peuvent être anéanties qu’unité par unité. Les usines ne peuvent être bâties qu’une par une. Un paysan ne peut labourer la terre que parcelle par parcelle. Il en est de même pour les repas. Stratégiquement, prendre un repas ne nous fait pas peur : nous pourrons en venir à bout. Pratiquement, nous mangeons bouchée par bouchée. Il nous serait impossible d’avaler le repas entier d’un coup. C’est ce qu’on appelle la solution un par un. Et en langage militaire, cela s’appelle écraser l’ennemi unité par unité.
Mao Tsetoung, « L’impérialisme et tous les réactionnaires sont des tigres en papier », Citations du président Mao Tsetoung, Éditions en langues étrangères de Pékin, p. 98.
Je remarque que la douleur abrutit, abêtit, écrase.
Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 119.
Il n’y a que l’embarras du choix, pour le monde quitté.
Renaud Camus, Le département de l’Hérault, P.O.L., p. 77.
Par
1 000 m de fond
l’émerveillement gît
Jean-Pierre Georges, Passez nuages, Multiples, p. 22.
Personne ne se remet d’avoir été un jour récusé par sa mère ; encore moins quand devenue mère on récuse à son tour son fils en fictionnant dans l’enfer de son inconscient que la partie jouée par un autre permettra de ne plus jouer la sienne. Ce serait si simple… Ni le mari, ni les enfants, ni la famille n’offrent ce que seul permet un recentrage de soi par le sujet blessé. Comment pour ma mère exister sereinement avec en elle une plaie de laquelle un sang coule depuis le portail de l’église ? Pour guérir, il faut d’abord un diagnostic auquel consentir.
Michel Onfray, La puissance d’exister, Grasset, p. 17.
Souvent, le soir, j’allais passer quelques heures agréables chez [mes petites élèves] ; leurs parents (le fermier et sa femme) me comblaient d’attentions. C’était une joie pour moi d’accepter leur simple hospitalité et de la payer par une considération et un respect scrupuleux pour leurs sentiments, respect auquel on ne les avait peut-être pas toujours accoutumés, et qui les charmait et leur faisait du bien, parce qu’étant ainsi élevés à leurs propres yeux, ils voulaient se rendre dignes de la déférence qu’on leur témoignait.
Charlotte Brontë, Jane Eyre ou les mémoires d’une institutrice, FeedBooks.
Sa figure prit de nouveau une expression de surprise ; il ne pensait pas qu’une femme oserait parler ainsi à un homme. Quant à moi, je me sentais sur mon terrain ; je ne pouvais pas entrer en communication avec les esprits forts, discrets et raffinés, soit d’hommes, soit de femmes, avant d’avoir dépassé les limites d’une réserve conventionnelle, avant d’avoir franchi le seuil de leurs confidences et pris ma place près du foyer de leurs cœurs.
Charlotte Brontë, Jane Eyre ou les mémoires d’une institutrice, FeedBooks.
Encore une journée qui s’en va, une journée carnivore
et l’ai-je retenue ? J’ai dormi. Et pendant mon sommeil, j’ai vieilli.
Ma paresse, ce vieux serpent qui me conseille
m’a dit, comme toujours : « Attendons à demain.
Ces changements sont lents, si lents, on a le temps —
les forces sont inégales,
bouger, c’est dépenser cette énergie exacte
dont tu auras besoin, demain, pour te lever
et rayonnant, forcer les anges du néant.
Demain, il est encore temps, allons dormir :
cette journée qui s’en va fera place à une autre,
à une autre qui point, qui vient, qui sera là,
et qui, dans sa beauté explosive, sera
ta journée de réveil, terrible et décisive
Benjamin Fondane, Poèmes retrouvés, Parole et Silence, p. 44.
Il se peut aussi que sur une promenade au mois de mai, quand le matin est beau, à la Florida ou sur le Prado elles aient aperçu en passant la courtaude silhouette embossée dans sa cape, hivernale parmi des glaïeuls, renfrognée, de l’ombre des chênes verts regardant sombrement ceux qui en plein soleil roulent voiture, portent l’habit à la française, ont les femmes les plus joliment ceinturées, les plus riantes, les mieux nommées, et quand en grand équipage arrivait don Rafaël Mengs ou le Signor Giambattista Tiepolo, elles l’ont vu faire en catastrophe deux pas, sortir de l’ombre et dans la lumière apparaître comme un oiseau de nuit surpris, lever haut le sombrero et le porter vite au giron pour la courbette, l’œil révérant porté là-haut sur l’invisible auréole du Maître trouant le grand plafond du ciel madrilène, et tout son visage tremblant dédiait à cette apparition un sourire extatique, paniqué, peut-être misérable. Et le maître saluait ce gros jeune homme qui voulait bien faire.
Pierre Michon, « Dieu ne finit pas », Maîtres et serviteurs, Verdier, pp. 13-14.